Je croise Violaine d'Harcourt depuis des années, mais on ne se connaissait pas vraiment. Convaincue par son talent et intriguée par son travail de designer, j'ai profité d'un séjour à Lisbonne, où elle s'est installée, pour passer la voir dans son atelier. Nous avons fait quelques photos et beaucoup discuté. Elle m'a ensuite montré ses cafés préférés et après un déjeuner délicieux, nous sommes allées nous baigner à la première plage, à 20 min de chez elle. Grâce à Violaine, j'ai pu goûter à la douceur de vivre lisboète, moi qui caresse dans un coin de la tête le rêve d'un jour m'installer dans cette ville solaire. Interview.
Solaire Journal : Bonjour Violaine, peux-tu nous parler de ton parcours ?
J’ai commencé la pratique artistique dès l’âge de 5 ans quand mes parents m’ont inscrite à un cours de peinture. Et je ne me suis plus jamais arrêtée ! Peinture puis dessin, modelage, sculpture… Un Bac arts-plastiques et une prépa d’art aux Ateliers de Sèvres en poche, je suis ensuite entrée à l’école Camondo en architecture et design. Pendant ces études, j’ai fait 2 stages d’été à New York, le premier chez Robert Couturier et le second dans un concept store.
À ce moment-là je visais plutôt les métiers d’architecte d’intérieur ou de scénographe. J’ai eu la chance d’avoir Inga Sempé en prof de design à Camondo et j’ai accroché avec sa vision poétique de ce métier. C’est finalement le design de produit qui l’a emporté sur l’architecture.
Après 3 ans à Camondo, je suis partie à Milan pour y faire un Master en design industriel à la Scuola Politecnica. A la fin de mes études, j’ai passé quelques mois dans le studio d'un designer milanais, Jacopo Foggini. Son travail se situe à la frontière entre l’art et le design, avec une place importante accordée à la couleur et la lumière. Puis chez l’argentin Federico Churba, chez qui j’ai pu observer la rigueur nécessaire au travail de designer de mobilier. Enfin, j'ai eu une expérience en production à la galerie Kreo, une institution parisienne en matière de design contemporain.
Ce parcours m’a confortée dans mon envie d’exercer ce métier et je me suis lancée à mon compte à ce moment-là. En y repensant aujourd’hui, je pense que c’est un métier dont je ne connaissais pas bien l’existence avant mes 20 ans. Et mon parcours m'y a amenée naturellement.
Qu’est-ce que tu aimes dans ton travail ?
Je trouve que c’est un travail très complet. De la première esquisse mentale au luminaire installé chez un client, il y a tout un processus dont chaque étape est essentielle.
J’aime l’idée de chercher pour chaque luminaire le bon équilibre entre esthétique et fonction, ce qui n’est pas aussi évident qu’il n’y parait. Pour un luminaire abouti, il y a en général une quarantaine de croquis, une dizaine de maquettes et des mois de gestation qui sont presque invisibles pour les autres, mais qui font pourtant partie d’un processus incontournable dans le design industriel ou semi-industriel.
C’est toujours une grande satisfaction de voir une de mes lampes chez un client heureux, quand je sais tout le travail qu’il y a eu en amont. L’idée que mes luminaires seront peut-être toujours là, en train d’éclairer chez un client, chez ses enfants ou ses petits enfants dans plusieurs dizaines d'années me plait beaucoup.
À quoi penses-tu quand tu crées un nouveau luminaire ?
A la base, ça part toujours d’une envie : travailler un nouveau matériau ou un autre format par exemple. Il s’agit d’accompagner la lumière de manière différente : il y a d'abord le choix de la typologie (lampadaire, applique, lampe de table, de chevet, d’extérieur) ensuite la lumière en elle-même : ampoule ou autre source lumineuse, forme, intensité, couleur… Sera- t-elle visible ou non ? Filtrée ou pas ? Conçue avec du verre, du tissu, du papier ? Puis je m'intéresse à l’objet qui porte cette lumière : sera-t-il posé, accroché, ou bien suspendu ?
Toutes ces questions nécessitent un temps de réflexion, des essais. C’est pour moi un terrain de jeu incroyable et surtout infini.
Je n'ai pas le temps de m'ennuyer !
Comment choisis-tu les matériaux et les couleurs ?
Par envie d’une part mais aussi pour accompagner la fonction de la lampe : brillance, transparence, réflexion, filtrage... La couleur doit sublimer la lumière. Il ne faut pas oublier cependant qu’un luminaire est éteint pendant une grande partie de la journée : il faut alors qu’il reste un objet esthétique, et ce par son design, ses finitions, ses couleurs.
Quel est ton processus créatif ?
Il y a déjà la partie créative par le dessin, qui fait le lien entre le cerveau et la possibilité d’un objet. Ensuite, la mise en forme en plans techniques et maquettes qui matérialise le dessin en volume. Les maquettes sont très importantes pour tester la réalité du rendu lumineux. C’est une impression qui ne peut pas être restituée par une 3D. Enfin, le choix des finitions, couleurs, matériaux qui finalise l’apparence finale du luminaire.
Ensuite viennent les étapes qui concrétisent le projet : développement du produit avec un ou plusieurs fabricants/artisans et définition du mode de production : quel matériau est le plus adapté ? La fabrication sera-t-elle manuelle ? Aura-t-on besoin d'utiliser une machine ? Faudra-t-il produire un moule ? Etc.
Puis la phase de prototypage, qui demande beaucoup d’aller-retours. Enfin, la production et ses aléas. Quand le luminaire est prêt à être vendu, il faut alors le vendre ! Communiquer, prospecter etc.
Comment travailles-tu ta créativité ?
Je ne la travaille pas vraiment, elle est assez naturelle et cyclique. Tout notre environnement est une source d'inspiration pour moi. Il y a des périodes où je dessine beaucoup, d'une manière assez compulsive. Et d'autres durant lesquelles je pose mes idées et les développe. Ce qui m’amène à la phase de développement et de production puis de commercialisation, jusqu'aux prochains dessins. C'est un rythme à suivre. Beaucoup de dessins et parfois même des projets poussés ne voient pas le jour, cela fait partie du jeu, comme une sorte de « tri sélectif naturel ».
Parle-nous de tes goûts, de ta sensibilité artistique et de ce qui te fait vibrer.
J’aime les objets qui paraissent évidents. Qui sont élégants mais simples, et dont on ne le lasse pas. Les artistes et designers qui m’inspirent sont les mêmes depuis 20 ans : les sculptures de Giacometti, les installations d’Andrea Branzi et de Giuseppe Penone, les lampes d’Ingo Maurer et de Nogushi, pour le langage poétique qu'ils ont réussi à instaurer, en volume, entre la nature et leur œuvre.
Tu vis aujourd’hui à Lisbonne, ce changement de vie a-t-il pu t'apporter un nouveau souffle créatif ?
Oui, pour plusieurs raisons. Déjà tout simplement pour la luminosité de la ville. Après avoir vécu presque toute ma vie à Paris, que j’aime mais qui a tout de même le défaut d’être terne pendant une grande partie de l'année, je découvre ici une ville où la norme est le beau temps, où l’on voit l’océan entre deux immeubles. Alors forcément la lumière n’est pas la même.
D'autre part pour la production des luminaires : les portugais travaillent les matériaux nobles que j’aime utiliser (le verre, le bois, la céramique).
Leur savoir-faire et la qualité de leurs productions sont reconnus depuis des siècles. Les fabriques de céramique sont nombreuses à s’être implantées autour de Caldas Da Rainha, située à moins de 100km de Lisbonne, en raison d’un sol très argileux. A 50km de là sont regroupés les artisans verriers dans une région riche
en sable de qualité. Il est donc possible
en une demi-journée d’aller visiter
3 ou 4 ateliers voisins.
Après avoir travaillé avec des artisans aux quatre coins de la France, mais aussi en Suisse, en Italie, en Roumanie et au Portugal, je relocalise aujourd’hui ma production pour qu’elle se fasse uniquement entre le Portugal et la France.
Enfin, c’est une ville où les métiers créatifs sont valorisés. Les portugais prennent leur temps c'est vrai, mais ils sont doués et ont le goût des choses bien faites, alors on s’adapte à leur rythme. Un rythme que je trouve finalement plus humain et qui s’accorde avec la douceur de vivre du pays.
Parle-nous des odeurs, des sensations, des bruits, des lumières du Portugal.
Déjà, l’air. Ça parait tout simple mais étant localisé au bord du Tage et de l’océan, on respire du bon air iodé tous les jours. Je pense aussi à l'odeur des olives sur la route entre Lisbonne et l’Algarve.
Comment tes enfants se sont-ils adaptés à leur nouveau quotidien ?
Aussi bien qu'on l'espérait ! Quoiqu’ils aiment bien se plaindre du sable dans leurs chaussures...
Vous vous êtes faits des amis facilement ?
La ville est bourrée de français, ça n'a donc pas été trop compliqué de faire des rencontres dès notre arrivée.
Qu’aimez-vous faire le week-end ?
On va très souvent à la plage, mais on partage aussi notre temps entre les balades dans Lisbonne, les excursions pour découvrir le pays, et la région de l’Algarve où nous allons souvent, du côté de Tavira.
Quels sont les projets sur lesquels tu travailles ?
Actuellement je travaille sur un projet d’applique inspiré des volets « persiennes ». Encore et toujours des luminaires. On me demande souvent si je n'ai pas envie de dessiner d'autres objets mais ce sont vraiment les objets lumineux qui me plaisent ! Je leur trouve quelque chose de magique, ils peuvent totalement changer l’atmosphère d’une pièce et on est tous - plus ou moins - sensibles à ces choses-là.
Texte et photos Andrane de Barry.
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