Elles forment un trio inséparable et leur complicité donne le sourire. Gesa Hansen, Charlotte Huguet et Estelle Marandon sont respectivement designer, directrice artistique, journaliste et auteur. Ces trois belles âmes créatives se sont installées à la campagne ces dernières années et en ont tiré un livre "Campagne, pour un nouvel art de vivre", où elles partagent leur expérience au plus près de la nature. Un ouvrage bien pensé, qui donne envie d'apprendre à vivre autrement, avec un nouveau rythme et de nouvelles habitudes. De revenir à plus de simplicité et une meilleure qualité de vie,
tout en gardant le sens du beau et en célébrant un art de vivre au quotidien.
J'ai eu la chance de discuter avec elles pour Solaire, voici notre conversation.
Solaire Journal : Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Gesa : Moi j'ai rencontré Charlotte parce qu'elle a fait un sujet sur moi pour le Elle, à propos de mon travail de designer. Après on est devenues très amies. Je suis venue une fois dans sa maison de campagne et j'ai tout de suite dit à mon mari "il nous faut une maison comme ça". Et puis Estelle on s'est rencontrées quand elle a elle aussi déménagé à la campagne.
Estelle : Moi je ne connaissais pas les filles et je connaissais même pas la région. Mais on a eu un coup de foudre immédiat. On avait pris la décision de partir à cause du covid. J'aurais dû connaitre Gesa parce que nous sommes toutes les deux allemandes et nos enfants étaient dans le même jardin d'enfants, mais on ne s'était jamais croisées. On se disait un peu "oh non pas encore une allemande !" (rires). Mais depuis notre rencontre on ne s'est plus quittées.
Gesa : C'était Estelle le moteur du livre. Elle a tout préparé.
Charlotte : Elles sont hyper rapides et efficaces, c'est dingue ! Quand elles m'ont proposé de faire le livre elles avaient déjà une maquette et un sommaire. Elles avaient même trouvé un éditeur.
Vous habitez toutes les trois dans le même village ?
Gesa : Non, nous sommes dans trois villages différents, qui sont très proches les uns des autres du coup on se considère voisines.
Charlotte : À la campagne tout est proche et facile, c'est comme si on vivait dans des arrondissements différents . Moi, j'habite à Barbizon, Gesa à Courances et Estelle à Cély. C'est assez marrant parce qu'il y a des démarches et des dynamiques différentes dans chaque village. Donc on se nourrit aussi de ce que chacune trouve dans son village : le bon boulanger, le maraîcher qui vend des paniers bio,... C'est intéressant parce que ça nous permet d'élargir nos options.
J'ai l'impression que cette région permet un vaste choix, avec des commerces de qualité, des commerçants qui ont le goût du beau et des bonnes choses...
Charlotte : Oui c'est tout à fait vrai. Avec le Covid, la région s'est vraiment transformé. A Barbizon il y avait déjà beaucoup de commerces et de restaurants, mais c'est monté en gamme, indéniablement. C'est devenu assez branché. J'ai par exemple une copine qui avait un restaurant à Paris et qui s'est installée ici pour ouvrir une épicerie végétale. Elle fait très attention à la sélection de produits qu'elle propose, souvent bio et de qualité.
Gesa : Il y a un oeil pour l'esthétisme là-bas, et ça fait du bien.
Justement, ce que j'adore dans ce livre, c'est justement l'idée de vivre à la campagne, au plus près de la nature, sans oublier le style et l'esthétisme. Pourquoi est-ce que c'est important pour vous, où est né votre exigence esthétique ?
Charlotte : Nous évoluons toutes les trois dans des milieux créatifs. Oui, je pense que l'exigence esthétique nous a poussé à faire ces métiers-là. On avait à l'origine une appétence pour les arts et pour le beau. Le beau à notre niveau bien sûr, car chacun a une vision du beau. Moi je suis partie il y a longtemps et mes copines me disaient "mais tu vas t'enfermer à la campagne, ça va être la cata". Et en fait, on se rend compte que son univers, on l'emmène avec soi.
Gesa : Et puis on réalise vite que notre univers change, il s'adapte. C'est amusant c'est ce que je disais quand
on a commencé à faire ce livre. J'étais la première étonnée de constater qu'en arrivant à la campagne mes envies de couleurs, de matériaux, de décoration avaient changé. Parce qu'on ne conçoit pas une maison à la campagne comme un intérieur parisien, et on ne s'habille pas de la même façon.
Charlotte : On change aussi notre façon de travailler. Moi je suis directrice artistique et je me suis rendu compte que je faisais plus que des sujets à la campagne, et que mes envies évoluaient.
Gesa : On a plus les mêmes désirs, plus les mêmes racines. On a découvert un tout autre univers.
Estelle : Par besoin, mais aussi par envie. On a d'un coup d'autres envies, par cet univers qui nous entoure, la nature qui nous influence. On a un autre style de vie depuis qu'on vit là-bas, une autre façon de penser.
Charlotte : Un autre rythme aussi. On s'est beaucoup apaisé aussi. Il y a une énergie en ville qui est à la fois constructive et très speed. Très angoissante aussi. On ne s'y attendait pas mais on s'est rendu compte qu'à la campagne on changeait de façon de vivre.
Gesa : Il y a un certain minimalisme qui se met en place.
Charlotte : On a besoin de moins, on va mieux et on a moins besoin de consommer comme avant.
Estelle : Les activités sont quasiment toutes gratuites à la campagne. Une balade en forêt suffit pour que les enfants s'éclatent. A Paris une balade est toujours très chère. On voit trop de choses, on fait du shopping,...
Charlotte : On comble aussi les difficultés par des besoins. On vit dans des appartements plus petits, on a besoin de sortir pour compenser, tout est payant et à la fin, on dépense de l'argent.
Comment parvenez-vous à nourrir votre créativité en ayant moins d'opportunités au niveau culturel et artistique ?
Charlotte : Nous sommes très proches de Paris (à moins d'1h). C'est l'avantage, donc nous y allons toutes très régulièrement. Mais surtout, je me sens beaucoup plus créative depuis que je suis partie. A Paris c'est tellement dense, il y a tellement de monde et un style très défini, presque imposé, qu'on a l'impression de devoir prendre le train en mouvement. Et là j'ai vraiment découvert une autonomie créative très forte, qui me valorise finalement.
Gesa : On est plus libre. Je suis d'accord avec Charlotte. A Paris, j'étais à 80 % inspirée et je produisais à 20 %, alors qu'à la campagne je suis plutôt à 30 % inspirée et je produis à 70 %. Cela m'a permit de me remettre à créer moi-même de façon beaucoup plus productive, parfois cela nous freine d'être trop inspiré par ce que font les autres de tous les côtés.
C'est vrai que quand on regarde sur Instagram, par exemple, il y a tellement de choses que ça nous bloque nous-même car on se compare trop aux autres.
Charlotte : Et puis il y a aussi un truc très culturel en France en tout cas, qui est de devoir combler le temps, c'est à dire de faire des choses tout le temps, et c'est comme ça qu'on réussit. J'ai découvert à la campagne et je pense qu'on l'a toutes vécu, c'est que d'avoir des temps calmes où on ne fait presque rien permet d'être beaucoup plus créatif par la suite. Il faut créer des espèce de sas, actifs et passifs.
C'est pareil pour les enfants, on sait qu'il faut qu'ils aient des moments d'ennui pour nourrir leur créativité et leur imagination...
Estelle : Tout à fait. D'ailleurs pour les enfants, c'est génial parce qu'ils jouent dans le jardin avec presque rien, ils prennent trois bâtons et en font un bateau, ils se racontent des histoires. Ils passent des heures dans le jardin et on a pas besoin d'intervenir, avant il fallait beaucoup plus les occuper.
Avez-vous le sentiment de vivre beaucoup plus sainement depuis que vous êtes à la campagne ?
Charlotte : Pour ma part je mangeais déjà sainement, mais oui clairement, je fais beaucoup plus de sport et je trouve qu'on a moins besoin de voir des gens, on est plus calme, on se couche plus tôt et je crois que ça fait du bien au corps.
Estelle : Moi c'est un peu différent, mais je dirais que je vis beaucoup plus sainement parce que je passe beaucoup plus de temps dehors dans la nature, j'ai l'impression de mieux respirer. Je fais peut être un peu moins de sport parce qu'à Paris, je faisais quand même beaucoup de vélo, ce que je ne fais plus, et je marchais beaucoup plus. Là je suis plus en voiture, mais je marche dans la forêt, je passe du temps dans le jardin, je jardine beaucoup donc je fais beaucoup de travail physique et ça me donne l'impression de vivre plus sainement.
A l'occasion de ce livre, quelle est la personnalité la plus solaire que vous ayez rencontré, celle dont le quotidien vous a le plus inspiré ?
Charlotte : Moi, c'est elles deux. Faire ce livre à six mains, c'était fascinant.
Gesa : On prend tellement d'amour l'une de l'autre, c'est quelque chose dont je suis très reconnaissante et que je ressens énormément. J'ai passé un été un peu difficile, et elles ont été des piliers pour
moi. De cultiver des amitiés aussi fortes, ça c'est exceptionnel et inspirant.
Estelle : Ce livre on l'a fait pour nous, de manière très organique. C'est la meilleure chose qui nous soit arrivée.
Gesa : Et les gens qui apparaissent dans le livre nous inspirent évidemment beaucoup aussi. Ce sont tous des amis.
Passons à l'interview express.
Fermez les yeux et rembobinez. Vous venez de vous installer dans votre nouvelle maison perdue au milieu de la nature. Quelles sont les émotions qui vous traversent ?
Gesa : Je ressens le besoin de faire un feu, pour y trouver de la chaleur. Si je pense à une maison perdue au fin fond de la forêt, ma première pensée et de la chauffer. J'ai besoin d'amener de la chaleur dans ma maison, donc c'est ce que j'ai fait le jour où je suis arrivée.
Fermez les yeux et sentez. Quelles sont les odeurs de la nature qui vous apaisent ?
Toutes ensemble : Le bois ! L'odeur du bois, sans hésitation.
Fermez les yeux et goûtez. Le dimanche, votre mari est aux fourneaux. Quel plat va t il vous concocter ?
Gesa : Du granola le matin. Ou si c'est un peu plus tard, l'une des recettes phares qu'on a mis dans le livre, la parmigiana. Il faut dire aussi que mon mari est un spécialiste du café (Gesa est marié avec Charles Compagnon, restaurateur et propriétaire des restaurants parisiens Le Richer, Le 52 et Café Compagnon, ndlr) et je suis sans cesse titillée par l'odeur du café. Je ne peux plus vivre sans.
Fermez les yeux et écoutez. Quels sont les sons de votre quotidien qui vous manqueraient si vous reveniez vivre en ville ?
Charlotte : Le chant des oiseaux.
Fermez les yeux et touchez. Pour affronter l'hiver, quels sont les tissus et matières qui sauront vous réconforter ?
Gesa : Le mouton le mouton, le mouton ! Je ne quitte pas mon gilet en peau de mouton.
Charlotte : Oui clairement du mouton. Dans les pantoufles, les sabots ou même sur les fauteuils.
Estelle : Moi aussi ! En plus j'adore cette odeur, quand ça sent encore le mouton.
Super ! Merci beaucoup à toutes les trois.
Texte Andrane de Barry.
Photos Nathalie Mohadjer et Stephanie Füssenich.
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